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09.01.2024

La Brique : Recette d’un projet réussi malgré la crise

Les projets des organisations membres de la Fedevaco sont longuement discutés, évalués et révisés. Mais qu’en est-il une fois qu’ils sont validés et financés ? En ce début d’année 2024, le secrétariat souhaite mettre en avant la réussite de l’un d’eux. Le choix s’est porté sur un centre de santé mis en place par l’organisation La Brique au Burkina Faso, qui a le mérite d’avoir été accompli dans le contexte de crise et d’insécurité que connaît le pays ces dernières années.

Pour en savoir davantage sur cet accomplissement, la Fedevaco a rencontré Messieurs Adjima Paul Miampo, fondateur de l’association La Brique (1992), et Isaie Sanon, coordinateur local et responsable du personnel à Ouagadougou, qui nous ont décrit la situation du Burkina Faso, témoigné de l’état actuel du centre et partagé leurs interprétations de sa réussite.

Contexte d’insécurité mais projet en bonne santé

Il y a quelques années à Barpoa - un village à l’Est du pays - les habitant·e·s font appel à La Brique et lui partagent la nécessité d’un centre de santé de proximité. Les deux centres déjà existants étant éloignés de respectivement 15 et 25 km, et situés au-delà de la rivière Tapoa, les soins sont difficilement atteignables, voire inaccessibles durant la saison des pluies, pour la population du village. À cette époque, La Brique n’a jamais expérimenté de projet en santé, et doute de la faisabilité. Mais la situation complexe de la région génère motivation et mobilisation : en 2019, l’association se lance, et en 2022, le centre fonctionne !

Pourtant, durant ces 3 ans, la situation sécuritaire du pays se dégrade compte tenu de la présence de groupes armés. Affrontements, populations déplacées, fermetures des institutions publiques, migration des administrations, ralentissement du rythme économique et de vie, pénuries et augmentation des prix transforment le contexte dans lequel vivent quotidiennement les Burkinabés. Les deux hommes racontent que Diapaga – commune dans laquelle se trouve Barpoa – est « assiégée » et « dénaturée ».

Malgré tout, en 2023, le dispensaire et la maternité fonctionnent, et emploient 3 agents de santé payés par l’État burkinabé. En 2023, plus de 300 enfants y ont été vaccinés, 200 accouchements ont eu lieu, près de 700 consultations prénatales et de jeunes ont été faites et des centaines de soins y ont été procurés. Le centre, cofinancé par les partenaires de la Fedevaco (DDC, Département de la santé, CHUV et commune de Begnins), a touché plus de 8 000 personnes. Actuellement, il est l’un des deux seuls centres de la région encore ouverts.

Une réussite incontestable : un centre fonctionnel et des habitant·e·s satisfait·e·s

Au début de l’année, le Médecin-Chef du district sanitaire de Diapaga écrivait à La Brique : « Les indicateurs de santé dans la zone d’intervention de l’ONG La Brique font preuves ». Un constat que Messieurs Adjima Miampo et Isaie Sanon rejoignent, en rapportant les statistiques de l’infirmier burkinabé qui se trouve sur place. Tous se réjouissent de constater que les contraintes objectives qui existaient auparavant – notamment de distance et d’accessibilité – sont palliées, que du personnel est engagé, que l’État participe au fonctionnement et surtout que la patientèle reçoit le temps et les soins qu’elle nécessite. Les deux hommes insistent particulièrement sur l’enthousiasme et la reconnaissance des habitant·e·s. Ils évoquent le jour de l’inauguration, lors duquel ils·elles y ont remercié le personnel, les partenaires et La Brique de les avoir écouté·e·s.

Une recette à suivre ?

Ces observations suscitent la curiosité : comment La Brique est-elle parvenue à de tels résultats dans un ce contexte ? Bien que les représentants de l’organisation commencent par dire que « ça ne s’explique pas », au fur et à mesure de la discussion, nous apprenons qu’il existe bel et bien des explications, desquelles nous pouvons tirer des enseignements ! La résilience dont ont fait preuve les Burkinabés, le fort ancrage local de l’organisation, une collaboration « interne-externe » nécessaire et une anticipation des risques en sont les principaux.

Résilience

Un premier constat a été clair pour les deux hommes : celles et ceux qui ne venaient pas de Diapaga s’en sont allés. Quant au personnel indigène, inscrit dans un cercle familial et social, il est resté et a fait preuve de résilience et de détermination. Par choix ou non, il a permis de maintenir les activités de La Brique.

Localisation

Le bureau de coordination de La Brique étant situé à Diapaga, il a facilité le suivi des activités. Toutefois, nos interlocuteurs précisent qu’il ne s’agit pas uniquement d’être sur place, mais d’y durer. En effet, l’organisation est investie dans la province depuis plus de 20 ans, y a établi un contact particulier avec la population, de l’« attachement » réciproque, qui permet de communiquer bilatéralement et facilement.

Collaborations avec différents acteurs

L’ancrage sur le long terme de l’organisation l’a légitimée auprès de nombreux acteurs de la région, tel que l’État, et lui a attribué une image fiable auprès d’acteurs internationaux. L’exemple concret et représentatif que Messieurs Miampo et Sanon nous donnent sont les vols utilisés pour sortir de Diapaga, fournis par le Service aérien humanitaire des Nations Unies. La voie terrienne étant trop dangereuse, les collaborateur·ice·s de La Brique ont dû faire appel à une solution aérienne, sous protection internationale.

Préparation et gestion des risques

Enfin, La Brique rend attentif à l’importance de la préparation en amont, de l’analyse des risques et du réalisme du projet. Des réflexions qui permettent à un projet de se maintenir malgré des situations inattendues. Cette fois encore, ils partagent un exemple parlant : les coupures des moyens de communication. Par l’anticipation, l’établissement d’un plan précis et le respect de celui-ci, les activités en Suisse comme au Burkina ont pu suivre leur cours.

Partage de connaissances

Toutefois, l’élaboration d’un tel projet ne se fait pas seule. Grâce au partage d’expériences, des enseignements se transmettent et permettent des cheminements éclairés et efficaces. Dans le cas de La Brique, le guide pratique La santé pour tous en zone rurale – Développer et renforcer les centres de santé : guide pratique, rédigé conjointement par le Dr Scartezzini et la Fedevaco (2018), s’est avéré formateur. Monsieur Sanon en témoigne : « il nous a permis de voir large et de mieux préparer le projet. Il sert non seulement de guide pour le CSPS de Barpoa, mais aussi pour les autres centres de santé du district sanitaire. Le MCD (médecin chef de district), responsable de la formation continue des agents de santé du district utilise ce guide comme manuel de formation ».

Alors pour débuter 2024, nous ne retiendrons non pas une recette à suivre, mais des ingrédients précieux. Nous garderons à l’esprit un projet qui s’est transformé en multiples réussites et enseignements : santé, localisation, résilience, collaborations et anticipation. Et surtout, une organisation méritante et impactante.

Chiara Counet

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