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28.06.2022

Interviews croisés: Anne Roulet et Pierre Zwahlen

Entre passé et futur, nous avons donné voix à notre président sortant, Pierre Zwahlen, et notre présidente élue, Anne Roulet. Souvenirs, visions, enjeux; retrouvez leurs interviews complets en compagnie d’Alexandre Cavin, secrétaire général.

2015-2022, sept ans de présidence. Si tu devais choisir trois mots illustrant ces années à la tête de la faîtière, lesquels seraient-ils et pourquoi ? 
Pierre Zwahlen (PZ) : Le cœur, les initiatives et la durabilité.
Le cœur, parce que cette fédération est magnifique et qu’elle agit avec le cœur. Les relations y sont merveilleuses, faites de respect, mais aussi d’amitiés et de cordialités.
Les initiatives, parce que cette fédération a su prendre les bonnes initiatives, notamment auprès des communes, du Canton, de la Confédération, mais aussi auprès de ses membres pour leur offrir des opportunités de perfectionnement indispensable. Elle l’a fait avec imagination et créativité. Et ce sont les bénéficiaires qui en profitent au bout de la chaine.
La durabilité, car depuis 2015, la Fedevaco tient très haut ce flambeau des 17 Objectifs de Développement Durable. Cela nous a donné une crédibilité remarquable auprès des collectivités publiques. Les 17 ODD nous placent aussi en cohérence avec le travail de nos organisations membres.

Nous avons utilisé plusieurs moyens pour faire converger les efforts, en travaillant étroitement avec différents départements de l’État.

Quels ont été les moments les plus satisfaisants dans cette fonction ?
PZ : Le plus grand moment aura été l’aboutissement de nos efforts pour l’Agenda 2030 du canton de Vaud. Enfin publié en juin 2021, celui-ci inclut plusieurs objectifs mettant en valeur la coopération internationale, dont celui de la hausse de l’aide cantonale au développement pour réaliser les ODD. Pendant cinq ans au moins, nous avons utilisé plusieurs moyens pour faire converger les efforts, en travaillant étroitement avec différents départements de l’État. Et moi-même, j’ai été surpris et heureux de découvrir cinq objectifs que le Canton se fixe explicitement dans le domaine de la coopération internationale. 

Un autre moment fort que j’aimerais évoquer, c’est l’engouement partagé avec les personnes au parcours migratoire au travers de notre cycle de formation. Ces personnes ont constitué des associations et améliorent leurs projets au travers des ateliers offerts par le Prix Diaspora & Développement, pour développer leurs régions d’origine. 

Évidemment, je pourrais encore citer ces kyrielles de moments conviviaux et joyeux avec l’équipe du secrétariat, en Conseil ou dans nos fêtes annuelles de bénévoles. Ce sont à chaque fois des échanges, des connivences, des émotions positives. Et puis il y a également ces grandes rencontres que l’on a organisées, comme la fête des 25 ans dans les anciens halls de Morges – détruites depuis lors. Les municipalités des communes partenaires étaient appelées les unes après les autres sur la tribune, valorisées par le fait d’aider les gens du Sud. Et ce jour-là, nous avons su visualiser une image de l’aide communale et cantonale au développement qui était juste superbe. 

Nous devons rester aussi bons et bonnes pour nos organisations membres, pour les pouvoirs publics et là aussi, en bout de chaine, pour les bénéficiaires au Sud. 

Avec quel sentiment quittes-tu ton poste de président ? 
PZ : Beaucoup de bonheur partagé avec vous toutes et tous. Et puis, il y a aussi l’envie de finaliser ce que l’on a entrepris. C’est pour cela que j’ai envie de rester au Conseil, je souhaite réussir encore, sous le règne de ma successeuse, une augmentation substantielle de l’aide au développement du Canton. 

Selon toi, quels sont les défis à venir pour la Fedevaco ? 
PZ : Un des défis sera de demeurer aussi bons que nous le sommes aujourd’hui et que nous l’avons été depuis plusieurs années. Nous devons rester aussi bons et bonnes pour nos organisations membres, pour les pouvoirs publics et là aussi, en bout de chaine, pour les bénéficiaires au Sud. 

Je me sens privilégiée de prendre ce poste à un moment où la Fedevaco peut être fière de ce qu’elle est, du travail qui a été accompli à tous les niveaux.

Et selon toi, quels sont les défis à venir pour la Fedevaco ? 
Anne Roulet (AR) : Je rejoins bien Pierre dans le sens que nous devons maintenir et développer les relations, la qualité et les financements. Tout cela bénéficie d’ailleurs directement aux organisations membres, aux partenaires financiers et aux bénéficiaires en bout de chaine. Actuellement, la Fedevaco a un très haut niveau de qualité des relations et de financement, grâce aussi à l’engagement de Pierre, même si cela reste un travail d’équipe. Je me sens privilégiée de prendre ce poste à un moment où la Fedevaco peut être fière de ce qu’elle est, du travail qui a été accompli à tous les niveaux. Et du coup, ce sera un vrai défi pour moi de préserver et de faire fructifier ce capital humain, relationnel, de qualité et de financement. 

L’un des défis très concrets pour les prochains mois sera de travailler avec la nouvelle équipe en place au Canton, parce qu’il y a eu passablement de changements dans les départements et cela impliquera de nouer et renouer des relations et reconsidérer le travail avec les différents départements. Avec en plus et en parallèle, tout le travail qui se fait autour de la réponse au postulat Meldem. Il y a donc plein de chantiers ouverts au niveau du Canton qui pour moi constituent un point d’attention comme un défi à plus court terme. 

Bien entendu il y a des besoins en Suisse, et des sujets et des thématiques qu’il faut faire avancer. Mais aujourd’hui on vit dans un monde qui est globalisé et ces dernières années nous l’ont bien rappelé !

La coopération au développement est dans le viseur de certains politiques, quelle approche souhaites-tu avoir avec les décideurs et décideuses qui sont réticentes aux soutiens à la coopération au développement des collectivités publiques ?

AR : Une solution serait d’abord de faciliter la rencontre pour les écouter et essayer de comprendre d’où viennent ces réticences. Par le dialogue, il conviendra de trouver des points communs et peut-être aussi de reconnaître des besoins similaires qui peuvent exister entre les collectivités publiques ici et ailleurs. Et puis finalement, il serait important de montrer aussi toute la richesse du partage d’expérience en réseau. Une richesse que l’on a d’ailleurs bien développée à la Fedevaco.On évoquait toute cette expérience des associations de migrants, mais aussi des organisations membres qui bon an mal an se réorganisent et s’adaptent aux conditions du contexte. Et puis, dans les autres pays, les institutions partenaires de nos organisations membres ont elles-mêmes régulièrement des contacts avec leurs collectivités publiques. Ces expériences sont une mine d’or. Il ne manque plus qu’à tisser des liens et trouver la porte d’entrée pour offrir toute cette richesse de partage d’expérience. 

Quelle réponse donner à celles et ceux qui disent que le soutien à la coopération au développement est secondaire vis-à-vis du soutien aux projets durables et solidaires en Suisse ? 
AR : Il ne s’agit pas de prioritaire ou de secondaire, mais de complémentarité. En effet, selon moi, c’est vraiment complémentaire de travailler en même temps dans la coopération au développement et dans le développement durable en Suisse. Bien entendu il y a des besoins en Suisse, et des sujets et des thématiques qu’il faut faire avancer. Mais aujourd’hui on vit dans un monde qui est globalisé et ces dernières années nous l’ont bien rappelé ! On est toutes et tous très fortement interdépendants. Et en résumé, on vit et habite dans un seul monde, une seule planète, c’est pourquoi je souhaite mettre l’accent sur cette complémentarité. 

Aujourd’hui, pour faire face à l’augmentation de certains budgets (notamment celui de l’armée), certains parlementaires nationaux envisagent sérieusement une diminution des fonds suisses alloués à la coopération au développement. Même le Conseiller fédéral, Ueli Maurer, parle de « diminuer les dépenses » dans ce domaine notamment. Une réaction ?
AR : Je trouve cela désolant et inquiétant à la fois, car il me semble que cette manière de voir est très réductrice. Comme je l’ai déjà dit, et comme le soulignent différents experts de la coopération internationale, nous vivons aujourd’hui dans un monde interconnecté : ce qui se passe ailleurs sur la planète entraîne des répercussions sur la vie en Suisse et ce n’est pas en y apportant des solutions uniquement au niveau suisse (comme augmenter notre budget de défense) qu’il sera possible de changer la donne. Il est à mon avis urgent de voir au-delà de notre réalité de petit pays au cœur de l’Europe et de chercher des solutions en lien avec la racine des crises actuelles, qu’elles soient politiques, économiques, sanitaires ou écologiques. Pour cela, je suis convaincue que la coopération au développement, alignée sur les objectifs du développement durable de l’ONU, reste un outil pertinent et efficace, pour autant qu’on lui en donne les moyens.

Quelle dynamique souhaites-tu insuffler à la faîtière pour ces prochaines années ? 
AR : J’aimerais mettre l’accent sur la cohérence, l’harmonisation, le rassemblement des forces pour toujours plus tirer à la même corde. Et puis que toute cette diversité et cette richesse de compétences puissent participer à relever les défis évoqués tout à l’heure. C’est-à-dire qu’il est nécessaire de reconnaître à chaque membre, à chaque partenaire, à chaque bénévole ses compétences et richesses pour en faire une somme qui dépasse le tout. Beau programme, vous me direz ! Mais c’est aussi quelque chose qui correspond à mon caractère de mettre en cohérence, de rassembler, d’harmoniser, de faciliter les relations entre les gens. 

Et je rajouterais volontiers que je me réjouis de pouvoir continuer à compter sur le Conseil et sur l’appui de Pierre au sein du Conseil. C’est vrai qu’il est extrêmement précieux d’avoir à disposition toute cette expérience encore vive et de savoir que je peux aussi compter sur le secrétariat, qui sera là pour soutenir nos actions. C’est vraiment un cadeau. 

Je suis très heureux que ce soit toi, Anne, qui reprenne la présidence. Car il y aura un changement de style, de génération, de genre et c’est important.

PZ : Je suis très heureux que ce soit toi, Anne, qui reprenne la présidence. Car il y aura un changement de style, de génération, de genre et c’est important. Agir comme moi en élu cantonal a eu des avantages et des inconvénients. Tu amènes un regard différent, dont profiteront nos organisations.

Alexandre Cavin : pour rebondir là-dessus, je pense qu’effectivement c’est un double atout que les anciens présidents restent. L’historique est important dans toutes institutions. Et puis j’aimerais revenir sur le fait que certes, l’Agenda 2030 du canton de Vaud est un aboutissement, mais c’est aussi et surtout un levier. Il sera utile pour le plaidoyer. L’un des grands défis que l’on a est que ça se manifeste dans les effets concrets pour ne pas dire sonnants et trébuchants. Parce que l’on a pu voir par le passé dans les textes, soit des plateformes politiques, soit des programmes de législature où il était déjà fait mention de la coopération au développement, mais c’était que sur un programme de législature ! Là il y a encore un vrai potentiel et ça rejoint aussi ce que vous disiez, avec ces défis qui nous attendent, notamment au second semestre, avec les nouvelles autorités. 

Le lien entre la Suisse et les pays en développement ce sont les besoins ! [...] Les indicateurs de la pauvreté en Suisse se détériorent et dans les pays en développement, la situation est encore plus catastrophique.

Le lien entre la Suisse et les pays en développement ce sont les besoins ! Il y a des besoins en Suisse et il y en a dans les pays en développement. La problématique aujourd’hui et pour ces prochains mois et années, c’est que ces besoins sont en augmentation. Les indicateurs de la pauvreté en Suisse se détériorent et dans les pays en développement, la situation est encore plus catastrophique. Près de 260 millions de personnes qui vont tomber dans l’extrême pauvreté encore cette année selon l’ONU. D’où la nécessité et l’utilité du travail fourni par la coopération au développement, et nous, en tant que fédération parce que l’on est dévolu et appelé à faire ce travail de plaidoyer pour augmenter les financements aux projets pertinents et de qualité de nos organisations membres. Le contexte fait que l’on est vraiment au cœur et dans un moment charnière.